En 2016, le CBN Massif central et ses partenaires (CEN Auvergne, Chauvesouris Auvergne, CBN Pyrénées et Midi-Pyrénées, CBN Bassin parisien, CPIE du Velay, Evinerude, IGN, IPAMAC, LPO Auvergne, ONF, SHNAO) ont synthétisé les indicateurs permettant d'étayer la présomption d'ancienneté de parcelles forestières voire d'en caractériser la maturité, l'état de conservation ou encore la biodiversité potentielle et d'évaluer les enjeux de préservation.
Certains outils sont basés sur l'utilisation d'espèces bioindicatrices, et se fondent sur l'hypothèse que si certaines espèces sont présentes alors la niche écologique dont elles dépendent et les conditions écologiques auxquelles elles sont sensibles sont réunies. D'autres se basent sur l'étude des caractéristiques physiques de la forêt telles que les caractéristiques dendrologiques (structure du peuplement, présence de vieux arbres et de bois mort, existence de certains dendromicrohabitats). Ou encore sur les caractéristiques chimiques du sol : traces d'usages anciens en surface (labour, chaulage, fertilisation, incendies…) ou dans le sol (archéologie).
L'hypothèse d'ancienneté d'une forêt peut également être vérifiée à la lecture de traces du passé : les vestiges archéologiques évoqués précédemment, les documents d'archive textuelle, pictographique ou cartographique peuvent apporter autant de renseignements sur l'ancienneté d'une forêt. Ainsi, les cartes anciennes, notamment les cartes de l'État-major donnent une « photographie » de l'occupation du sol à un moment donné ; croisées avec une carte des forêts actuelles, il est ainsi possible d'identifier sur l'ensemble du territoire couvert les secteurs potentiellement anciens.
Mais aucun indicateur n'est parfait. Chacun diffère selon les paramètres qu'il évalue (ancienneté, maturité, structure…), sa précision, sa portée temporelle et spatiale, sa fiabilité, sa facilité de mise en œuvre…. La présomption d'ancienneté d'une forêt ne peut donc s'appuyer que sur une analyse globale de plusieurs indicateurs. Une véritable enquête en somme !
Bon nombre d'espèces animales ou végétales se maintiennent en forêt que si leurs conditions d'habitat, de reproduction, d'alimentation, etc. sont demeurées favorables dans le temps, ou si elles ont eu le temps et la possibilité physique de recoloniser leur niche depuis des zones refuges.
De nombreux groupes taxonomiques ont ainsi fait l'objet de synthèses, afin de préciser leur sensibilité vis-à-vis de l'ancienneté, de la maturité, d'autres caractéristiques de la forêt. Étayés par la bibliographie et l'expérience des naturalistes, certains d'entre eux ont été identifiés comme bioindicateurs (flore vasculaire, coléoptères, syrphes, lichens…) et sont présentés ci-après.
Certaines espèces de la flore vasculaire répondent ainsi à l'ancienneté des forêts via leur sensibilité aux propriétés chimiques du sol et leur capacité de dispersion. À partir de 664 relevés phytosociologiques, le CBN Massif central a ainsi établi des listes d'espèces indicatrices adaptées aux trois grands ensembles biogéographiques du Massif central. Six grands types de forêts et 102 espèces fréquentant ces milieux qu'ils soient anciens ou récents, ont été analysés. Pour cela, grâce aux cartes de l'État-major, les botanistes ont comparé les fréquences de chaque espèce entre forêts présumées anciennes et forêts récentes, en tenant compte d'autres facteurs environnementaux susceptibles d'influencer leur présence. À partir de ces listes, ils ont élaboré un indicateur floristique d'ancienneté (IFA) permettant de juger la typicité de la flore par rapport à l'ancienneté présumée des parcelles forestières inventoriées.
Si les résultats ne permettent pas d'établir des listes suffisamment étoffées pour la zone sous influence supra-méditerranéenne, le ratio entre le nombre d'espèces indicatrices de forêts anciennes et le nombre d'espèces indicatrices de forêts récentes constitue un indicateur intéressant pour les zones sous influence continentale et atlantique.
Parmi les espèces indicatrices des forêts anciennes, on retrouve de nombreuses espèces de sous-bois possédant une faible capacité de dispersion (et les empêchant par conséquent de recoloniser rapidement une jeune forêt). On y observe l'Ail des ours (Allium ursinum), l'Arum tacheté (Arum maculatum), les Fétuque des bois (Drymochloa sylvatica) et hétérophylle (F. heterophylla), l'Aspérule odorante (Galium odoratum), la Luzule des bois (Luzula sylvatica), la Mélique uniflore (Melica uniflora), le Sceau de Salomon multiflore (Polygonatum multiflorum) ou encore parmi les fougères les Dryopteris des Chartreux (Dryopteris carthusiana) et écailleux (D. dilatata). Fréquemment citée dans les études hors Massif central, l'Anémone des bois (Anemone nemorosa) est également indicatrice d'ancienneté, mais uniquement à l'étage collinéen : son abondance dans les landes de l'étage montagnard la rend en effet plus fréquente en altitude dans les forêts récentes, qui ont recolonisé des landes après abandon du pâturage.
À l'inverse les espèces de forêts récentes sont pour la plupart des espèces de demi-ombre et d'ourlet, plus pionnières, ou relictuelles d'un stade antérieur à la forêt. On peut citer notamment l'Angélique des bois (Angelica sylvestris), le Genêt à balais (Cytisus scoparius), la Stellaire holostée (Stellaria holostea), le Gaillet des rochers (Galium saxatile), la Houlque molle (Holcus mollis) ou encore la Germandrée scorodoine (Teucrium scorodonia)...
Avec leur forte sensibilité écologique, les bryophytes et les champignons constituent également des indicateurs intéressants, notamment pour caractériser la maturité des écosystèmes, mais des études complémentaires s'avèrent nécessaires pour préciser leur potentiel d'indication.
En collaboration avec l'IPAMAC et l'ONF, la boîte-à-outils des forêts anciennes mise au point lors de la phase 1 du programme Forêts anciennes (2015-2016) a été complétée dans la perspective de mettre au point une méthode et des outils partagés d'identification des peuplements biologiquement matures.
Riches en gros arbres vivants, en arbres porteurs de dendromicrohabitats et en arbres morts à différents stades de décomposition, ces peuplements sont en effet à la fois les plus rares et les plus intéressants d'un point de vue biodiversité, mais aussi les plus sensibles à la gestion. Présents au sein de forêts non exploitées depuis plusieurs décennies, leur identification et leur cartographie constitue un enjeu majeur de court terme, notamment dans la perspective de pouvoir les conserver. Une meilleure connaissance peut permettre de mettre en cohérence localement les objectifs de mobilisation de bois, en évitant d'exploiter les secteurs présentant une maturité écologique importante, d'autant plus que les arbres y présentent souvent un intérêt économique très faible (diamètres pouvant dépasser le mètre et n'intéressant pas les scieurs, qualité mauvaise car les arbres ont entamé leur processus de sénescence, arbres souvent branchus du fait d'une croissance initiale dans un contexte de peuplement beaucoup plus clair, etc.).
Testée, améliorée, puis mise en application sur les sites naturels de nombreux territoires, la méthode d'identification et d'inventaire est désormais opérationnelle et peut être déclinée de manière plus ou moins complète selon les besoins. Un bordereau, une notice et un formulaire web dédiés ont été élaborés pour harmoniser et faciliter le lever d'information.
Les résultats permettent d'alimenter des bases de données et des couches d'informations géographiques facilitant l'action des gestionnaires sur la conservation de la trame de vieux bois et de la biodiversité forestière en général.