Mousses épiphytes d’Auvergne
et autres bryophytes corticoles

Partenaires
L’Europe s’engage dans le Massif central avec le fonds européen de développement régional.
Cette étude a bénéficié des soutiens de l’Europe, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.

Inventaire & conservation d’un patrimoine végétal méconnu

Dans la perspective de mieux connaître les mousses et hépatiques (Bryophytes) d’Auvergne évoluant en épiphyte sur les écorces des différents arbres et arbustes, et d’améliorer leur conservation, le Conservatoire botanique national du Massif central a mené un inventaire, unique et novateur, entre 2014 et 2016.

Cet inventaire approfondi a permis de recueillir près de 22 500 données bryofloristiques, plus de 4 000 relevés bryosociologiques et de nombreuses données écologiques, mais aussi d’identifier les communautés bryologiques existantes à l’échelle régionale, au travers d’une approche bryosociologique nouvelle.

Tout en dévoilant les principaux résultats de l’inventaire ainsi réalisé, cet ensemble de document présente, de manière synthétique, un patrimoine végétal encore peu connu et espère sensibiliser le lecteur à sa préservation, à travers :

Chiffres clés
  • 80 mailles 10 × 10 km parcourues
  • 22 500 données bryofloristiques
  • 4 000 relevés bryologiques
  • 23 communautés bryologiques
  • 267 espèces inventoriées
  • 24 espèces remarquables
  • dont 2 protégées au niveau national

Mousse épiphyte, bryophyte corticole...

De quoi parle-t-on ?

Les bryophytes sont des plantes terrestres disposant de feuilles non vascularisées ou de thalles. Le terme bryophyte, entendu dans son sens le plus large, s’applique aux trois lignées de plantes terrestres exemptes de vrai système vasculaire : les Marchantiophytes (hépatiques), les Bryophytes au sens strict (mousses, sphaignes) et les Anthocérotophytes (anthocérotes). Avec près de 25 000 espèces de mousses et sphaignes, 9 000 espèces d’hépatiques (Marchantiophytes) et 300 espèces d’anthocérotes, les bryophytes constituent le second groupe de végétaux terrestres, après les Dicotylédones.

Présents dans tous les biotopes, en particulier humides ou frais, les bryophytes contribuent de façon non négligeable à la structure et au fonctionnement des écosystèmes que ce soit en termes de dynamique végétale, de formation des sols et plus largement dans les cycles biogéochimiques et la régulation des climats. Ces organismes écologiquement très spécialisés investissent tous types de supports (rochers, sols, troncs d’arbres…), quasiment à toutes altitudes et latitudes. Les bryophytes qui se développent spécifiquement sur les branches et troncs d’arbres sont qualifiées « d’épiphytes ». Celles évoluant sur l’écorce même des arbres sont dites « corticoles ».

Un inventaire... pourquoi faire ?

À la lueur de travaux effectués ces dernières années, la bryoflore dite « corticole » ou encore « épiphyte » de l’Auvergne s’est montrée à chaque fois particulièrement remarquable à divers titres : une grande diversité de communautés corticoles hyper-spécialisées colonisées ; un potentiel bioindicateur extrêmement fort en particulier pour indiquer la maturité des peuplements forestiers, de nombreuses espèces rares, menacées et protégées concernées...

Améliorer la connaissance de ces groupes d’espèces, à travers la réalisation d’un vaste inventaire, est vite apparu comme un objectif stratégique fort, tant dans l’étude de leur répartition que de leur bioindication.

Jusqu’à présent, les travaux d’inventaires bryologiques du CBN Massif central n’avaient jamais pu être conduits de manière systématique. Un inventaire bryologique impose des contraintes fortes : il faut cinq fois plus de temps pour obtenir un nombre de données bryologiques équivalent aux données de flore vasculaire. Ainsi, pour rester dans des limites de faisabilité telles que celles des inventaires généraux successifs menés par le CBN Massif central pour la flore vasculaire de son territoire d’agrément, il est apparu impératif de restreindre la densité de l’inventaire, à la fois d’un point de vue du nombre de taxons à relever et de la taille de la maille.

Une méthode et une échelle d’inventaire novatrices

L’ inventaire des bryophytes corticoles de la région Auvergne a été entrepris sur la base d’un maillage du territoire de 10 × 10 km (100 km²) et prospecté sur une période de trois ans (2014-2016). Cette échelle d’inventaire, sur un territoire si vaste, a constitué une première au niveau national.

Un effort particulier a été accordé à la prospection des mailles d’altitude, souvent peu explorées, dans la mesure où ces dernières pouvaient comporter une richesse exceptionnelle. Les fourrés supraforestiers ont fait l’objet d’inventaires systématiques étant donné leur grande potentialité d’accueil de taxons remarquables. Certains grands systèmes alluviaux des quatre départements ont également été inventoriés en détail. Enfin, les vallons encaissés ont été étudiés dans l’ouest du Cantal car ils hébergent une flore aux affinités océaniques intéressante, en situation isolée sur la façade ouest du Massif central.

Dans chacune des 80 mailles 10 × 10 km prospectées, les bryologues ont cherché à obtenir une image la plus représentative possible, tendant vers l’exhaustivité, de la composition bryofloristique du périmètre considéré, y compris à l’échelle des arbres porteurs, à échantillonner la diversité des végétations épiphytes corticoles d’Auvergne ainsi qu’à recueillir un corpus de données stationnelles et écologiques à des échelles variables.

C’est ainsi qu’une somme importante de données floristiques, bryosociologiques et écologiques a pu être collectée. Cet inventaire a également été l’occasion de réunir l’ensemble de la bibliographie disponible sur les bryophytes épiphytes afin d’avoir une vue d’ensemble et d’évaluer l’apport et l’originalité de nos propres résultats dans un contexte plus large.

Des résultats étonnants

Les 22 500 données collectées ont permis de dresser un panorama significatif de la flore et de la végétation bryophytique épiphyte d’Auvergne. Avec plus de 267 taxons observés, on sait désormais que plus d’un quart de la bryoflore d’Auvergne est susceptible de se développer sur des écorces !

Ces données permettent d’affiner la connaissance de la distribution globale des espèces, en particulier des brophytes prioritaires en matière de conservation. Certaines données collectées viennent d’ailleurs modifier radicalement la distribution géographique jusqu’alors connue de plusieurs taxons. C’est le cas de Habrodon perpusillus, taxon méditerranéen observé à l’ouest du Cantal, ou de Sciuro-hypnum flotowianum qui s’est révélé répandu dans les hêtraies de l’étage montagnard supérieur !

Au cours de ce programme, 24 espèces remarquables (inscrites sur la Liste rouge des bryophytes d’Auvergne) ont été recensées, dont deux espèces protégées à l’échelle nationale : Orthotrichum rogeri et Dicranum viride.

Des communautés bryophytiques originales et parfois menacées...

Outre l’observation des taxons, plus de 4 000 relevés bryosociologiques ont pu être réalisés. Ces données ont permis d’inventorier 23 communautés différentes et dresser ainsi un premier catalogue étayé des végétations épiphytiques. Deux communautés nouvelles non décrites ont été observées. La première est une communauté à Pseudoleskea saviana, Lescuraea mutabilis et Paraleucobryum longifolium qui occupe la base des troncs dans les hêtraies subalpines ; la seconde est associée à Ptilidium pulcherrimum à la base des troncs dans les boulaies d’altitude sur blocs ou éboulis rocheux.

Tandis que l’on s’attend à ce que les forêts soient les habitats les plus riches et diversifiés, l’étude montre que les habitats dynamiques s’avèrent généralement d’une plus grande richesse encore. Il s’agit notamment des systèmes boisés alluviaux (soumis à la dynamique fluviale), des fourrés et pré-bois (en pleine évolution structurale). Étonnamment, certains alignements d’arbres d’ornement dans les villes et villages d’Auvergne se sont également révélés d’une richesse exceptionnelle avec, parfois, une bryoflore plus riche que les habitats naturels environnants !

Bien que ces habitats ne paraissent pas menacés au premier abord en termes de surface ou d’abondance, leurs qualités écologiques intrinsèques sont particulièrement altérées : la modification de la dynamique fluviale, l’absence de renouvellement ou la mauvaise gestion des arbres isolés ou des haies en zone bocagère, l’intensification de certaines pratiques sylvicoles, sont autant de menaces qui pèsent sur la bryoflore corticole actuelle.

Une échelle de perception inhabituelle...

Observer la flore corticole, c’est s’intéresser aux conditions micro-stationnelles environnant la bryoflore (l’humidité atmosphérique environnant les branches supports, la lumière filtrée par la canopée, le relief de l’écorce...). L’étude a ainsi mis en exergue le rôle fondamental de la lumière pour un grand nombre d’espèces et de communautés corticoles. Bon nombre d’habitats forestiers se sont ainsi montrés trop sombres pour accueillir des bryophytes épiphytes. En analysant l’acidité des écorces des arbres «supports», certains arbres ont également révélé une bryoflore significativement plus riche que d’autres : l’Aulne, le Hêtre, le Frêne, le Peuplier et le Chêne pédoncule, aux écorces relativement neutres se sont ainsi montrés plus accueillants que d’autres espèces d’arbres dotées d’écorces plus acides.

Réfléchir à une nouvelle gestion de l’arbre...

Ces résultats ont amené le CBN Massif central à réfléchir aux mesures de préservation possibles. Une des premières mesures de gestion conservatoire consisterait à laisser vieillir spontanément un réseau de vieilles forêts au sein desquelles des processus naturels (chablis, élagage naturel, tempêtes...) permettraient l’entrée de la lumière nécessaire à la diversité bryophytique. Cet objectif peut également être atteint dans les plantations en effectuant des éclaircies localisées ou en privilégiant le mélange des essences (plantations mixtes feuillus/résineux).

À la lueur de ces nouvelles connaissances, les fourrés et pré-bois s’avèrent être des habitats dont la valeur patrimoniale mérite d’être reconsidérée, certains abritant des espèces hautement menacées. La mise en place de mesures conservatoires telles que la recherche d’un équilibre permanent entre espaces forestiers/espaces ouverts/fourrés s’avère déterminante pour certaines espèces patrimoniales comme Orthotrichum rogeri. L’identification et l’inventaire bryologique des fourrés dans les études d’incidences et lors des expertises naturalistes prend alors tout son sens.

La conservation voire la réhabilitation d’un maillage bocager, en particulier sur les plateaux d’altitude, peut jouer un rôle majeur quant à la conservation de la bryoflore corticole : plantation de haies, entretien d’arbres d’émonde, maintien d’arbres isolés en plein champ sont autant de mesures favorables.

Enfin, le rôle de l’arbre en ville est mis en lumière. Certaines essences exotiques ou indigènes (à pH acides) se montrent défavorables aux épiphytes tandis que d’autres constituent de véritables paradis pour un grand nombre d’espèces, en particulier lorsque les caractéristiques climatiques sont favorables. Il s’agira principalement, pour les agents intervenant sur les espaces verts, de permettre le vieillissement de certains arbres choisis (parcs, arbres isolés...) et d’apporter une attention particulière quant aux conséquences des opérations de taille.