Les réflexions sur la trame écologique de l'Auvergne et du Massif central ont mis en évidence le rôle majeur des milieux forestiers pour la biodiversité. Parce qu'ils concentrent au total 64 % de la forêt du Massif central et abritent une grande diversité d'espèces végétales et animales liées aux écosystèmes forestiers anciens ou matures, les Parcs naturels régionaux et le Parc national des Cévennes, au travers de l'IPAMAC, ont souhaité dès 2015 identifier les forêts présumées anciennes sur 12 territoires.
Ce projet, financé par l'Union Européenne, le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire et 4 régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle Aquitaine et Occitanie), a nécessité préalablement un partage des ambitions et des méthodes, aux côtés du Conservatoire botanique national du Massif central, de l'Institut national de l'information géographique et forestière, de l'Office national des forêts et du Centre national de la propriété forestière.
La méthode appliquée pour identifier et caractériser les forêts anciennes des Parcs naturels du Massif central repose sur une comparaison diachronique. Dans un premier temps, une base de données géographique a été créée sur chaque territoire à partir des cartes de l'état-major produites entre 1825 et 1866. Ces cartes militaires, assez précises (échelle au 1:40000) et complètes (couverture nationale), ont été réalisées à la période de « recul maximal » des forêts, juste avant l'exode rural et la déprise agricole. Leur digitalisation a constitué le socle d'analyse qui permet dans un second temps la comparaison avec les espaces boisés cartographiés de nos jours (sur la base des informations détenues par l'IGN), c'est-à-dire sur un pas de temps d'environ 150 ans. De cette comparaison, les cartographes distinguent les espaces forestiers présents au XIXème siècle et encore de nos jours, ceux disparus (défrichement, urbanisation, infrastructure…) et ceux créés de toute pièce (reboisement de terres agricoles suite à leur abandon ou à leur plantation…).
Ainsi, à partir des 595 000 ha de forêts vectorisées à partir des cartes de l'état-major, par comparaison aux 1 639 000 ha de forêts cartographiées aujourd'hui, 504 000 ha de forêts ont été identifiées comme état probablement anciennes sur les territoires des Parcs selon l'étude () rendue publique par les Parcs.
La cartographie précise des forêts présumées anciennes, selon une méthodologie partagée a permis de comparer les situations de tous ces territoires mais aussi de décrire la situation foncière et sylvicole des forêts anciennes. En outre, elle aura contribué à l'émergence d'un partage de connaissances, d'enjeux, de méthodes et de projets entre les forestiers, les historiens et les écologues du Massif central.
Dans la continuité des travaux de cartographie engagés par l'IPAMAC, le Conservatoire botanique national du Massif central, avec le concours financier du Conseil départemental de l'Allier, de l'État (FNADT) et de l'Europe (FEDER Massif central) et le concours technique de l'IGN, a souhaité réaliser une carte de présomption d'ancienneté sur un territoire pilote situé hors de ceux des Parcs.
Dans la perspective de faire un état des lieux ciblés sur les Espaces naturels sensibles du département de l'Allier, le Conservatoire a souhaité focaliser ses efforts sur ce territoire.
De manière identique au travail des Parcs, il a ainsi numérisé les forêts indiquées sur les cartes de l'État-major produites entre 1825 et 1866 puis les a comparées aux forêts actuelles. Cette carte « diachronique » permet de mieux comprendre l'évolution et la place actuelle des Forêts anciennes sur le département.
47% des forêts présentes actuellement dans l'Allier figuraient déjà au XIXème siècle sur les cartes de l'État-major, et seraient donc anciennes, ce qui confère au territoire une responsabilité particulière dans la préservation de ce patrimoine remarquable tant au niveau naturel qu'historique et culturel. À l'échelle du département, on observe une forte hétérogénéité entre unités de paysage. Si les zones de forêts de plaine et de bocage (Bourbonnais, Bas Berry, Val d'Allier Vichyssois…) compteraient jusqu'à 58 % de forêts anciennes, celles-ci seraient très rares dans les vallées alluviales et les secteurs de Limagnes et de grandes cultures. On en observe également dans les secteurs de montagne, mais la proportion de forêts récentes (issues de la déprise agricole) y est plus forte.
Depuis 150 ans, la surface forestière augmente en France comme dans l'Allier. Cette augmentation globale de la surface forestière est néanmoins « l'arbre qui cache la forêt » : 29 % des forêts cartographiées par l'État-major au XIXème siècle ont été rayées de la carte, soit l'équivalent de 41 000 terrains de football. Au cours des deux derniers siècles, l'augmentation de la surface forestière n'a compensé que partiellement les forêts perdues. En effet, une partie de la biodiversité forestière, liée à l'ancienneté, met des siècles voire des millénaires à recoloniser de nouvelles forêts.
Dans la perspective de contribuer à la cartographie progressive des forêts anciennes à l'échelle du Massif central, le Conservatoire botanique a souhaité compléter et valoriser les données produites par les parcs sur les départements d'Auvergne-Rhône-Alpes, c'est à dire sur les secteurs non cartographiés par ces derniers et dans le périmètre de la région. Après celle du département de l'Allier réalisée en 2016, les cartes des forêts présumées anciennes des départements de l’Ardèche, du Cantal, de la Loire, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme sont désormais disponibles (format SIG libre de droit). La carte des forêts du Rhône (nouveau département du Rhône et métropole de Lyon), prochainement produite (début 2021), permettra une couverture complète de la partie auvergnate et rhonalpine du Massif central.
Bénéficiant de la méthode présentée dans la boîte-à-outils des forêts anciennes et de l'appui technique de l'IGN qui assure l'homogénéité des données produites à l'échelle nationale, les résultats sont mis à disposition des services publics et contribueront à la réalisation de la couche nationale et historique d'occupation du sol (vectorisation des autres usages cartographiés sur les cartes d'État-major). Afin de mieux faire connaître les forêts anciennes, des posters de sensibilisation ont en outre été réalisés à la suite de celui de l'Allier.
Enfin, sur les départements de l'Ardèche, de la Loire, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme, et dans la continuité du travail mené en 2016 dans l'Allier, un état des lieux des connaissances, enjeux et actions en matière d'ancienneté et de maturité forestière est mené sur les Espaces naturels sensibles, ainsi qu'une analyse des caractéristiques des forêts anciennes et récentes sur ces départements.
En région Nouvelle-Aquitaine, le Conservatoire botanique national Sud-Atlantique et l'IGN ont conduit un projet similaire, avec l'appui du Conservatoire botanique national du Massif central. Lancé en 2019, ce travail a contribué à la cartographie des forêts anciennes et matures des départements de la Creuse, de la Corrèze et de la Haute-Vienne.
Ces travaux permettent aujourd'hui au Conservatoire botanique de bénéficier d'une cartographie des forêts présumées anciennes sur l'ensemble de son territoire d'agrément. À terme, l'ensemble des données issues des croisement d'information permettront de renseigner voire d'orienter les décisions des pouvoirs publics en matière de préservation et de valorisation des ressources forestières.