Les forêts alluviales, des forêts pas comme les autres

On les appelle tantôt « ripisylves », « boisements riverains ou boisements de berge », tantôt « forêts d’inondation » ou encore « forêts alluviales ». Ces milieux boisés toujours situés sur des alluvions possèdent deux points communs : la présence d’essences arborées dîtes à bois tendres ou à bois durs, et la proximité d’un cours d’eau dont l’éloignement et la fréquence des crues façonneront des ambiances très différentes. De la source à l’estuaire, de la montagne à la mer, leurs végétations diffèrent et donnent lieu à des paysages singuliers. Prenons le temps de découvrir ces forêts originales et leur exceptionnelle diversité.

Une forêt, certes, mais les pieds dans l’eau !

L’exubérance végétale des forêts alluviales est le reflet d’une lumière généreuse, d’un sol riche et d’une dynamique fluviale constante.

Haut-Rhône
Moyenne vallée du Rhône
Basse vallée du Rhône

Quoiqu’il en soit, les forêts alluviales sont avant tout des écosystèmes façonnés par les crues et les fluctuations du niveau d’eau. Ces perturbations naturelles sélectionnent les espèces les plus adaptées. Le stress provoqué par les inondations, dû au manque d’oxygène dans le sol, ou encore la destruction régulière des branchages (torrents) ne conviennent pas à toutes les plantes, et nombreuses sont celles présentant des adaptations morphologiques particulières.

Certaines espèces d’arbres, comme le frêne ou l'aulne, possèdent des systèmes racinaires (contreforts) qui leur permettent de s'ancrer solidement dans le sol et de résister aux courants ; d’autres plantes possèdent des tissus aérés (aérenchymes) ou des lenticelles hypertrophiées dans leurs tiges facilitant la circulation de l’oxygène durant la submersion.

Les saules présentent également la particularité de développer rapidement des racines adventives et surélevées en cas d’inondation permanente, se substituant aux racines noyées et abritant des bactéries capables de fixer l’azote de l’air…

Les lianes, telles le Houblon ou la Vigne sauvage, préfèrent quant à elles grimper au plus haut, loin de l’eau. Au sol, les plantes à bulbes sont fréquentes : qu’elles soient arrachées ou recouvertes par des limons lors d’une crue, leurs bulbes se divisent facilement, et leurs graines germent dès la fin de l’hiver.

La dynamique du cours d’eau génère des mosaïques végétales : boisements pionniers et matures, îles, bras morts, embâcles et ouvrages de castors structurent l’espace et la biodiversité.

Ces adaptations permettent aux plantes de survivre et de se reproduire dans un environnement soumis à des perturbations régulières. Et c’est finalement la dynamique du cours d’eau qui va générer la répartition et la diversité des espèces. Le plus souvent, les forêts situées près d’un cours d’eau sont constituées non pas d’un unique peuplement homogène mais plutôt d’une mosaïque de boisements pionniers et matures, organisés selon la situation topographique, l’accès à la nappe phréatique, ainsi que la fréquence et la force des crues. La formation d’îles et de bras morts (lônes), mais aussi d’embâcles naturels et d’édifices construits par le Castor d’Europe, jouent également un rôle fondamental dans le fonctionnement et la répartition des végétations alluviales.

Globalement, les botanistes distinguent ainsi les forêts alluviales à bois tendres, régulièrement freinées dans leur développement voire déracinées par les crues, et les forêts à bois durs, plus rarement impactées en raison de leur éloignement ou de leur élévation par rapport au cours d’eau.

Les forêts alluviales à bois tendres

Aux bords du Rhône dont les eaux sont soumises à de fortes dynamiques, là où les sols sont régulièrement remaniés par les crues, se développent des végétations pionnières sur les plages dénudées. Aux friches composées de bidents, d’armoises, de renouées, de chénopodes succèdent de jeunes forêts alluviales dominées par les essences « à bois tendre » (Saule pourpre, Saule des vanniers, Saule blanc, Peuplier noir…). Capables de rejeter facilement de souche, ces arbres demeurent souvent à l’état arbustif en raison des crues destructrices qui cassent leurs plus grosses branches. Leurs racines piègent les sédiments tandis que leur composition végétale change significativement selon la texture et la grosseur des alluvions (galets, sable, limon…). Au plus près du cours d’eau on peut y distinguer des fourrés arbustifs à saules, puis sur les plages de sables et de limon des saulaies riveraines à Saule blanc. Sur les levées de galets à nappe battante, les peupleraies à Peuplier noir domineront, remplacées, plus en aval ou plus loin du cours déau par le Peuplier blanc, sur des substrats riches en limons.

Pour connaître plus en détail certaines végétations présentées ici, consultez le Catalogue des végétations forestières du Massif central (rubrique « Forêts humides »).

Saulaies pionnières

Sur les portions du Rhône exemptes d’aménagement hydraulique, près des plages de galets, se développent des saulaies pionnières et buissonnantes : le Saule pourpre (Salix purpurea), le Saule des vanniers (Salix viminalis), le Saule à trois étamines (Salix triandra), le Saule drapé (Salix eleagnos) ou encore le Saule cendré (Salix cinerea) se partagent ainsi l’espace selon leur écologie.

La fréquence des crues empêche le développement des arbres les contraignant à demeurer au stade arbustif. Ces fourrés pionniers se présentent ainsi souvent sous la forme d’ensembles discontinus avec des arbres à port en boule et aux branches fréquemment cassées par les crues. À leurs pieds, la Baldingère faux-roseau, la Salicaire, les orties, la Persicaire poivre d’eau, des bidents, la Saponaire officinale, forment un tapis végétal plus ou moins clairsemé selon la grosseur des alluvions.

Saulaies riveraines à Saule blanc

Ces forêts pionnières sont constituées majoritairement du Saule blanc, du Saule fragile accompagné du Peuplier noir et par des espèces des roselières et des sols vaseux comme la Baldingère, la Salicaire, les laîches, la Morelle douce-amère, le Myosoton aquatique, le Liseron des haies, le Rorripe amphibie...

Elles se développent sur les zones les plus proches du chenal principal en lien fort avec une nappe circulante et à fort battement, tout en restant à l’abri des courants. On les retrouve au bord des bras morts et d’anciennes gravières. Les inondations apportent des sédiments dopés en éléments nutritifs qui profitent à une flore habituelle des sols riches.

Ces saulaies ont particulièrement régressé consécutivement à certains aménagements du chenal ayant provoqué l’abaissement de la nappe parfois de plusieurs mètres, et facilité parfois la prolifération d’espèces exotiques envahissantes (notamment les renouées asiatiques, l’Erable negundo ou le Faux-indigo).

Peupleraies noires

Dominées par le Peuplier noir, ces forêts se développent un peu plus en hauteur que les Saulaies blanches riveraines, sur levées de galets du lit majeur, de texture grossière, régulièrement remaniés ou inondés par les crues. La strate herbacée, très recouvrante, est riche en espèces des friches alluviales.

Peupleraies blanches

Ces forêts dominées par le Peuplier blanc trouvent leur optimum dans les deltas des fleuves ou dans les cours d’eau de plaine, notamment en région provençale, sur des sols limono-sableux dépassant parfois plusieurs mètres d’épaisseur (Camargue). Ce type de forêt climacique occupe la plus grande surface dans la partie méridionale rhodanienne, surtout à l’aval de Valence. Aux côtés d’une flore herbacée des sols riches, les lianes et plantes volubiles, pour certaines naturalisées, sont souvent bien représentées (Bryone dioïque, Clématite des haies, Houblon, Vigne vierge). Le développement est optimal en début d’été. Ce type de végétation figure parmi les communautés végétales des forêts alluviales les plus riches d’Europe, mais leur surface est aujourd’hui très réduite et beaucoup sont progressivement altérées par des espèces exotiques envahissantes.

Les forêts alluviales à bois durs

Les forêts alluviales à bois durs se développent sur sols riches et profonds, où la nappe peut être assez basse mais toujours à portée des racines des arbres. Situées à plus grande distance du cours d’eau que les autres végétations présentées ici, elles s’installent là où les crues se montrent les moins destructrices et permettent à des essences comme les chênes, les ormes, les érables, les frênes ou encore les aulnes de pousser librement. Les aubépines, les cornouillers, les noisetiers et de nombreux autres arbustes s’installent et forment une strate riche et dense. La composition floristique de ces forêts change considérablement à mesure qu’on se rapproche du littoral en s’enrichissant d’espèces méridionales comme le Frêne à feuilles étroites, le Buis, le Laurier noble, le Chêne vert, etc.

Les aulnes se développent plus facilement au contact de pièces d’eau telles des lônes. On y retrouve une flore des marécages, souvent exubérante.

Pour connaître plus en détail certaines végétations présentées ici, consultez le Catalogue des végétations forestières du Massif central (rubrique « Forêts humides »).

Les chênaies-ormaies-frênaies

Dominées par une strate arborescente diversifiée abritant frênes élevés ou à feuilles étroites, chênes pédonculés, ormes lisses ou champêtres, la strate arbustive est également riche, composée de l’Aubépine monogyne, du Fusain, du Noisetier, du Cornouiller sanguin, ou encore du Troène commun. Au sol, on peut observer de nombreuses espèces des ourlets aux sols riches et des géophytes forestières : arums, Perce-neige, Ail des ours, Lamier tacheté, Consoude officinale, Groseiller rouge…). Les lianes peuvent également former d’importantes draperies (houblon, lierre, clématite).

Les aulnaies (-frênaies) riveraines

Souvent établie sous forme linéaire le long de la berge des cours d’eau, ces forêts sont constituées d’aulnes blancs ou glutineux, de frênes ainsi que d’espèces herbacées typiques des mégaphorbiaies (Eupatoire à feuilles de chanvre, Lycope d'Europe, Lysimaque commune, Reine des prés, etc.). On y trouve également des espèces fontinales (cardamines, dorines, Laîche à épis espacés...) et des espèces des ourlets nitrophiles (Benoîte commune, Circée de Paris, Lierre grimpant…). Ces peuplements forment des forêts « galeries », à l’image des cimes des arbres qui se rejoignent au-dessus de l’eau… Plutôt liées aux eaux courantes, ces Aulnaies-frênaies sont donc rares sur le fleuve et davantage présentes sur le Haut-Rhône ou le long de ses affluents.

Les aulnaies marécageuses

Contrairement aux précédentes forêts, ces aulnaies occupent des secteurs aux sols engorgés (gley voire tourbe) avec une nappe peu oxygénée et très proche de la surface. La plupart des essences forestières n’y résistent pas et seuls les aulnes glutineux et les saules s’y développent. À leurs pieds, de nombreuses espèces des mégaphorbiaies ou des roselières, de fougères et de laîches forment une végétation assez exubérante.