Le Massif central, un territoire agropastoral exceptionnel au cœur des montagnes européennes...

Omniprésents dans le paysage du Massif central, les prairies et autres milieux agropastoraux ont forgé l'identité même de ce territoire au point d'en avoir façonné la faune et la flore qui les peuplent, mais aussi la culture et l'économie locales. Si, à ce titre et dans le cadre de ses missions, le Conservatoire botanique national du Massif central a toujours porté une attention particulière à la flore prairiale, de nombreuses questions restaient jusqu’alors en suspens : que représentent les milieux agropastoraux à l'échelle du Massif central ? Comment sont-ils répartis ? Possèdent-ils une richesse floristique qui leur est particulière ? Comment la flore prairiale évolue-t-elle ; est-elle menacée ? Voilà de nombreuses questions auxquelles le Conservatoire botanique s'est attaché de répondre dans le cadre de travaux menés en 2011.

Cartographier une "trame agropastorale" unique en Europe...

Partageant des problématiques communes à l’égard de la biodiversité, les Parcs naturels régionaux du Massif central et du Languedoc-Roussillon se sont engagés, fin 2008, dans un projet expérimental commun visant à mieux connaître le maillage des milieux naturels, agricoles ou forestiers, exploités ou non par l’homme, qui permettent le fonctionnement écologique du Massif central.

Missionnés dans le cadre de ce travail, les chercheurs d'EVS-ISTHME (Université de Saint-Étienne) et de l'IRSTEA ont décrit et cartographié cette « trame écologique » du Massif central sur un territoire de plus de 100 000 km². Ce travail a ainsi mis en relief les « réservoirs de biodiversité », c’est à dire les espaces où la biodiversité est la plus riche et la mieux représentée, mais aussi où la faune et la flore accomplissent leur cycle de vie ; et les « corridors écologiques », autrement dit les espaces qui assurent le libre déplacement de la faune et de la flore, d'un réservoir de biodiversité à l'autre.

En 2011, le Conservatoire botanique national du Massif a apporté sa pierre à l'édifice en affinant la « trame agropastorale » de ce réseau écologique tant des points de vue méthodologique que cartographique. À cet effet, des méthodes de cartographie à partir d’images aériennes et spatiales à très haute résolution, développées par le laboratoire de recherche EVS-ISTHME, ont été associées à la cartographie de végétation sur le terrain que le CBN a pour habitude de réaliser dans le cadre de ses missions. Il s’agissait alors pour le CBN Massif central de définir et de tester sur trois territoires ateliers représentatifs de la diversité géologique du territoire (Haut-Forez, Sancy-Cézallier, Causse noir) une méthodologie reproductible à l’ensemble du Massif central et cohérente avec le projet de cartographie des végétations et des séries de végétation de la France (CarHAB) au 1/25 000 porté alors par l'État.

Un héritage sylvo-agricole ancestral, générateur d’une biodiversité originale

Après plusieurs années de travail, les résultats mettent en évidence l’importance des milieux agropastoraux (prairies, landes, pelouses…) qui occupent plus de 40% de la surface du Massif central.

Cette proportion n’est pas née d’hier. En défrichant la forêt au cours des millénaires précédents, l’homme aura permis aux espèces herbacées d’occuper des espaces qui leur auraient été interdits par la prédominance de la forêt sur la quasi-totalité de notre pays. Certes, les espèces des milieux agropastoraux ne sont pas apparues à l’Âge du Bronze avec les premiers défrichements (elles occupaient dans l’espace des stations primaires très restreintes comme les vires rocheuses, les bords des rivières, les lisières et clairières forestières…) mais l’ouverture des massifs boisés leur a permis d’occuper des niches écologiques nouvelles, mais aussi de se mélanger à d’autres populations jusqu’alors isolées les unes des autres.

Il a été démontré que la richesse des végétations agropastorales est directement liée à l’ancienneté des implantations humaines, les défrichements précoces ayant maintenus des milieux ouverts lors des périodes de réchauffement post-glaciation où la dynamique forestière était très forte. L’homme, en favorisant la réalisation de mosaïques de végétation complexes, a donc été pendant des siècles, créateur de diversité végétale.

On observe une corrélation très forte entre la diversité d’une prairie et son âge ce qui amène à considérer les vieilles prairies comme un véritable patrimoine paysan et naturel. Les prairies anciennes, sous réserve que leur niveau de fertilisation n’ait pas trop augmenté, se montrent ainsi particulièrement riches en espèces d’intérêt patrimonial qui sont souvent des espèces à faible capacité de dispersion.

Cette ouverture du milieu forestier, cet héritage sylvo-agricole ancestral, a donc permis le développement de végétations herbacées originales, et parfois même le brassage génétique de certaines populations de plantes dont l'existence est devenue, avec le temps, étroitement liée aux pratiques agricoles mises en œuvre. De fait, les espaces agropastoraux constituent à la fois un patrimoine naturel mais aussi un héritage culturel de très grande valeur, voire unique.

Illustration Narcisses / Orchidées - Un héritage sylvo-agricole ancestral, générateur d’une biodiversité originale

Dans le Massif central, l’agropastoralisme préserve un quart de la biodiversité

En constituant aujourd’hui le quart des réservoirs de biodiversité potentiels identifiés, les milieux agropastoraux représentent des enjeux majeurs dépassant les limites régionales, tant d’un point de vue écologique que des points de vue social, économique et paysager. En effet, certains territoires, comme l’Auvergne ou le Languedoc-Roussillon détiennent une forte responsabilité quant à la préservation et à la pérennité de certaines végétations à caractère patrimonial tant ces dernières s’avèrent uniques, rares ou menacées ailleurs...

Sans nier les impacts forts des activités agricoles contemporaines sur la biodiversité de nos territoires, il convient néanmoins de garder à l’esprit que cette biodiversité est héritée des pratiques agricoles ancestrales et que les végétations herbacées présentent une réelle résilience par rapport au type d’occupation du sol (assolement), à la condition de maintenir une trame agropastorale en bon état de conservation à l’échelle du Massif central (corridors écologiques, réservoirs de biodiversité...). Il reste encore dans le Massif central de magnifiques prairies, mais elles sont de plus en plus rares et cantonnées le plus souvent dans les secteurs les plus élevés et les moins accessibles. À l’inverse d’autres régions françaises, il est encore temps d’agir pour conserver une trame agropastorale fonctionnelle, et pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place des outils de compréhension et de caractérisation de cette diversité.

En prenant de la distance, les scientifiques insistent sur l'importance "écologique" du Massif central : s’inscrivant dans un axe montagnard européen majeur constitué du massif alpin, de la chaîne pyrénéenne et des Monts cantabriques, ce territoire apparaît, à la lueur de ces travaux, comme peu fragmenté et comme l'un des plus grands territoires agropastoraux d'Europe. De surcroît, le Massif central constitue un véritable « pont » entre les Alpes et les Pyrénées assurant la mobilité de la faune et de la flore montagnardes, en particulier celles dépendantes des milieux ouverts (prairies, pelouses et landes).

Ces considérations ne renforcent que d’avantage la nécessité de raisonner la conservation de la biodiversité à des échelles spatiales plus grandes que les visions locales ou régionales. C’est en tout cas l’une des ambitions du dispositif Trame verte et bleue qui réfléchit la répartition des trames écologiques à travers les politiques d’aménagement du territoire.

Illustration - Un héritage sylvo-agricole ancestral, générateur d’une biodiversité originale