Ensemble, préservons les forêts à forte biodiversité du Massif central

Dans un contexte d'intensification croissante des prélèvements en bois en France comme à travers le Monde, la mise en œuvre de pratiques sylvicoles respectueuses de la biodiversité apparait plus que jamais nécessaire. Mais leur adoption ne peut être encouragée qu'à travers des choix responsables et engagés de notre consommation quotidienne. Découvrons le rôle des sylviculteurs et des consommateurs dans la préservation de la biodiversité forestière…

Une sylviculture respectueuse de la biodiversité ?

Les principes de gestion forestière durable, intégrant les enjeux de biodiversité, sont bien connus GOSSELIN & PAILLET 2010 ; KRAUS D., KRUMM F. (dir.) 2013) . Le Plan régional forêt bois pour la région Auvergne-Rhône-Alpes intègre un certain nombre de ces recommandations en matière de biodiversité, afin d'atteindre non seulement les objectifs de mobilisation de bois mais aussi ceux de préservation de la biodiversité.

Voici quelques exemples à destination des propriétaires et exploitants forestiers

Je me renseigne sur la biodiversité de mes parcelles et les techniques de gestion forestière durable avant de rédiger le document de gestion, de réaliser ou faire réaliser des travaux ou coupes. Je consulte les fiches conseil (flore et habitats, faune, ripisylves...) disponibles sur les portails d'information réalisés dans le cadre du Plan régional forêt bois (PRFB) d'Auvergne-Rhône-Alpes..
J'évite les défrichements d'autant plus lorsqu'il s'agit de forêt ancienne : cette action sous autorisation administrative implique des contreparties importantes. Elle entraine un morcellement de la trame boisée, néfaste pour le déplacement voire la survie d'espèces forestières, et des conséquences irréversibles (Bergès et al. 2016 ; Dambrine et al. 2007 ; Dupouey et al., 2002b ; Graae et al., 2003 ; Hermy et al., 1999 ; Verheyen et al., 2003).
Le CNPF (Centre national de la propriété forestière ) de mon secteur peut m'informer sur la gestion forestière et m'aider à prendre en compte les différents enjeux environnementaux. Si ma forêt s'étend sur moins de 25 ha, je dois réaliser un Plan simple de gestion (PSG), mais je peux décider d'en réaliser un de manière volontaire si elle s'étend entre 10 et 25 ha. Ce document de gestion durable me permettra de planifier les travaux sylvicoles dans le temps mais aussi d'inscrire mes objectifs de prise en compte de la biodiversité, par exemple le fait de ne plus exploiter certains secteurs.
Je préserve le sol, milieu de vie et capital précieux pour la production de bois et le stockage de carbone (en forêt, un quart du carbone est stocké par le sol. EFESE 2019). En évitant sa mise à nu et son travail, je limite les problèmes d'érosion et freine la libération du carbone stocké dans l'humus et les horizons de surface (Achat et al. 2015 ; Naudts et al., 2016 ; Augusto et al., 2019).
Je favorise la diversité des essences arborées autochtones et l'hétérogénéité de la structure de ma forêt. En effet, les peuplements constitués d'arbres du même âge et de la même espèce se montrent moins favorables à la biodiversité, mais aussi moins résilients aux aléas et dépérissements (tempêtes, attaques parasitaires, sécheresse, etc. ; voir Morin et al., 2014 ; del Rio et al., 2017 ; Jactel et al., 2017 ; Jactel et al., 2018; Sousa-Silva et al., 2018 ; Jourdan et al., 2019).
Lorsque c'est possible, j'opte pour une sylviculture irrégulière, continue et proche de la nature (type Pro Silva). Plus écologique, ce mode de gestion s'avère moins risqué et moins coûteux pour le propriétaire que des itinéraires nécessitant des travaux lourds (plantation puis entretien). En limitant la surface des coupes, je fais bénéficier les jeunes arbres du couvert forestier et d'un climat tempéré, important en cas de canicule (LENOIR et al. 2017). De manière globale, je m'appuie sur les dynamiques naturelles plutôt que d'aller contre (régénération naturelle, enrichissement complémentaire).
Sur les stations et peuplements qui le permettent, je m'oriente vers la production de gros bois de qualité (diamètre > 70 cm sur le sapin, > 50 cm sur le hêtre). Capable de stocker une grande quantité de carbone en forêt (Pregitzer et Euskirchen 2004), ces arbres seront valorisés en bois d'œuvre (charpente, meubles, tonneaux, etc.) et continueront donc à séquestrer longtemps le carbone capté, au contraire des usages de court terme (bois d'industrie et de trituration, emballage, énergie). Beaucoup plus fréquents et diversifiés sur les très gros arbres, les microhabitats (cavités, branches cassées...) sont favorables à la biodiversité. Certains individus pourront même être conservés plus tard à cette fin.
Comme préconisé dans le PRFB Auvergne-Rhône-Alpes, je maintiens un maximum d'arbres sénescents et/ ou porteurs de dendromicrohabitats (au moins 5 à 10 pieds/ha), en particulier de gros diamètre. J'en marque au moins une partie (au moins 2 ou 3/ha) afin de les laisser mourir sur pied. Je maintiens un maximum de bois mort au sol (chablis) et sous formes de chandelles (de préférence d'un diamètre supérieur à 30 cm) à raison d'au moins 3 pieds/ha, au bénéfice de la biodiversité mais aussi de la fertilité du sol (le terreau ainsi constitué est bénéfique aux jeunes arbres).
Je crée et conserve des secteurs en libre évolution (qui ne seront plus exploités) favorables au maintien de la biodiversité liée aux vieux arbres (30% des espèces forestières, BOBIEC et al., 2005 ; STOCKLAND et al. 2004, VALLAURI et al. 2002, VALLAURI et al. 2005). Un secteur de 1 ou 2 ha peut déjà s'avérer utile mais l'impact sera d'autant plus important que la surface l'est également (> 10 ha). Je peux choisir de rejoindre de manière contractuelle le réseau FRENE des forêts d'Auvergne-Rhône-Alpes en évolution naturelle. Sur les sites Natura 2000, il est aussi possible de bénéficier d'un financement dans cette perspective, en me rapprochant de la structure animatrice.
J'éclaircis les plantations régulières de résineux exotiques (Douglas, Épicéas…). Cette pratique contribue fortement à la croissance des arbres mais aussi à l'apport de lumière au sol. Elle permet le renouvellement progressif de la forêt en facilitant la germination des semis. Elle contribue également à diversifier la faune et la flore du sousbois. À cette occasion, il est possible de diversifier le peuplement en maintenant, par exemple, quelques feuillus, permettant ainsi, à long terme, le retour de nombreuses autres espèces tout en contribuant à l'élagage naturel des troncs.
Si les incendies restent un phénomène naturel, la multiplication de leur fréquence peut s'avérer désastreuse : 95% des incendies sont d'origine humaine, la moitié causée par des imprudences, en particulier liés à des écobuages mal maîtrisés. Par conséquent, je fais preuve de prudence et respecte la réglementation en matière de travaux et d'usage du feu. Même dans les départements soumis au risque incendie, conserver au cœur des massifs vieux arbres et gros arbres morts, voire laisser faire la nature dans certains secteurs, n'empêche pas de se conformer aux obligations légales d'entretien de la végétation, en particulier aux abords des habitations.

Aux arbres citoyens !

L'influence des consommateurs sur l'offre et la demande en bois est considérable. Les quelques gestes évoqués ci-après peuvent contribuer, s'ils sont durablement amplifiés par leur nombre, à réduire l'impact de la sylviculture sur la biodiversité et à structurer des filières vertueuses à cet égard. Aux actes citoyens !

Citoyen ou entrepreneur, je privilégie les filières courtes (scieries locales) et le bois certifié par un label environnemental (FSC, PEFC, etc.) pour éviter le prélèvement et l'importation de ressources sylvicoles étrangères (parfois menacées) et diminuer la consommation d'énergie engendrée pour leur transport ;
Je privilégie l'achat de bois d'essences autochtones et de gros diamètre : par exemple, en privilégiant les charpentes traditionnelles en sapin du Massif central plutôt que des charpentes industrielles de type fermettes. Certains scieurs de mon territoire pourront me proposer de nombreuses essences locales pour mes usages : du bois poteau (châtaigner…) à la construction (sapin, pin sylvestre, chêne…) en passant par les menuiseries intérieures (frêne, peuplier, chêne, hêtre, etc.) ;
Si je me chauffe au bois, j'opte pour un poêle ou une chaudière à combustion propre (double combustion…) brûlant plus efficacement le bois qu'une cheminée. J'achète du bois local et provenant d'une sylviculture durable : taillis de Hêtre ou de Charme géré en conservant des arbres habitats et du bois mort, granulés ou plaquettes issues de produits connexes (chutes de bois).
Propriétaire d'arbres remarquables (arbres isolés, bocagers…), je leur apporte un soin particulier. Je peux demander un classement susceptible d'assurer leur pérennité. Les arbres bocagers sénescents jouent un rôle prépondérant dans la migration d'espèces entre deux forêts matures (trame boisée).
Je diminue ma consommation de papier non recyclé et autres objets à base de cellulose.
J'isole efficacement ma maison afin de diminuer ma consommation de bois : préférer une énergie renouvelable à une énergie fossile c'est bien, l'économiser en plus c'est mieux. À cet effet, je peux privilégier l'isolation en laines et fibres de bois à conditions que leur production soit écologique.
Citoyen, mécenne, entreprenreur (dispositif RSE, compensation carbone...), je participe à la conservation ou à l'acquisition de parcelles forestières par certaines associations (Forêts sauvages, Sylvae / CEN Auvergne, etc.), destinées à la libre évolution. Je signale au CBN Massif central les secteurs présentant de très vieux arbres.

Conseils à l'intention des collectivités territoriales et des décideurs publics

Élu d'une collectivité boisée, je suis conscient que les forêts de mon territoire répondent à de nombreuses fonctions, économiques mais aussi écologiques et sociales (protection des sols, de la ressource en eau, biodiversité, rôle paysager, loisirs de plein air, etc.). Ma collectivité, propriétaire de parcelles forestières (forêts communales, départementales, etc.), peut faire part au gestionnaire (ONF le plus souvent) de ses souhaits et objectifs en matière de prise en compte de l'environnement, du paysage et des nombreux services rendus par la forêt (voir ci-contre, rubrique propriétaires ; contacter l'ONF ou l'Union régionale des Associations des Communes forestières Auvergne-Rhône-Alpes de votre secteur). Ces orientations sont alors retranscrites dans l'aménagement de ma forêt pour une vingtaine d'années : réduction des coupes rases, maintient du bois mort et de vieux arbres, création d'îlots en libre évolution, etc.
Ma collectivité peut préserver des forêts et leur biodiversité par voie législative : protection en Espaces Boisés Classés (art. L.113-1 et suivants du Code de l'Urbanisme), règlement du Plan Local d'Urbanisme (PLU), réglementation sur les boisements et des reboisements (art. L.126-1 et suivants du Code Rural), dispositions concernant la protection des boisements linéaires, haies et plantations d'alignement (art. L.126-3 du code rural et L.350-3 du Code de l'environnement), classement en Forêts de protection (L.141-1 et suiv. du Code forestier Nouveau) ou Arrêtés de Protection de Biotope (Articles R. 411-1 et suivants du Code de l'environnement).
Désireuse d'implanter une centrale à biomasse, ma collectivité est vigilante sur les capacités de production des forêts locales et s'interdit de mobiliser du bois d'œuvre.

S'adapter au changement climatique

Pour lutter contre le changement climatique, de nombreux décideurs publics proposent d'intensifier la gestion forestière dans la perspective d'accroître le stock de carbone piégé par le bois. Or, si la forêt constitue effectivement le plus important puit de carbone en France métropolitaine (IGN 2005), on oublie que la biomasse est constituée pour moitié du carbone stocké dans le sol, en particulier celui des forêts anciennes. Toute exploitation forestière impliquant un travail du sol est susceptible de libérer le carbone ainsi stocké par le sol depuis plusieurs siècles.

Contrairement à une idée reçue, et même s'il pousse moins vite en diamètre qu'un jeune arbre, un gros arbre peut continuer à séquestrer chaque année du carbone : en effet, plus le diamètre est important, plus le gain en diamètre se traduit par une production importante en volume. Ainsi, trois ans de croissance d'un gros bois d'environ 50 cm de diamètre est équivalente en volume de bois à un jeune arbre de 10 à 20 cm (STEPHENSON N.L. et al. 2014). Miser sur la production de gros bois permet non seulement de s'orienter vers une sylviculture à haute valeur ajoutée, mais aussi de stocker plus efficacement du carbone. Plus largement, une vieille forêt, c'est à dire présentant des caractéristiques de forêt naturelle comme l'abondance de vieux arbres et de bois mort, continue à emprisonner efficacement le carbone : laisser en plus des secteurs sans aucune exploitation n'est donc pas un non-sens en termes de séquestration de carbone, bien au contraire (LUYSSAERT S., SCHULZE E.D., et al. 2008). Produire du bois dans certaines forêts, et stocker du carbone dans d'autres, y compris dans des secteurs laissés totalement sans exploitation, n'est pas du tout contradictoire (IGN 2005). En revanche, stocker du carbone dans les forêts de production ne peut se concevoir dans un système très intensif, avec des arbres de petit diamètre et un sol régulièrement perturbé (coupe à blanc, travail du sol puis plantation).

En privilégiant la production de gros bois, et notamment de bois d'œuvre, il est possible d'amplifier le stockage de carbone sur pied, tout comme le stockage de carbone en produits manufacturés de long terme (mobiliser et menuiseries intérieurs, charpentes..).

En choisissant une sylviculture irrégulière à couvert continu, on évite les coupes à blanc ; les coupes sont petites et progressives, sur le modèle des trouées qui permettent le renouvellement naturel de la forêt. Le sol ainsi préservé est moins susceptible de libérer du carbone par minéralisation de la litière.

Quant à l'utilisation des bois et forêts en tant qu'îlots de fraîcheur dans un contexte de changement climatique et de multiplication des canicules, il est montré que la température en sous-bois est en moyenne de 3 degrés moindres qu'à l'extérieur (LENOIR J., HATTAB t. & PIERRE G 2017). C'est effet micro-climatique permet aux concitoyens de trouver des espaces de fraîcheur en période estivale. Ce qui est bénéfique aux hommes l'est également pour les plantes. En effet, le microclimat du sous-bois permet le maintien des espèces les plus fragiles au dessèchement (en particulier les espèces hyperatlantiques ou des milieux frais et confinés) et à certaines essences sensibles aux coups de chaud de se maintenir, notamment les semis et jeunes plants. Ouvrir trop brutalement la canopée en pratiquant des coupes trop fortes et des coupes rases, c'est monter le thermostat de la forêt de plusieurs degrés.

S'adapter au changement climatique

Vers un réseau de forêts en libre évolution

Que se passe-t-il si l'homme vient à abandonner ses pratiques forestières ? La forêt meurt-elle ? Les arbres peuvent-ils se renouveler ? Dans de nombreux cas, à l'exception notable des plantations d'essences exotiques non éclaircies, non seulement la forêt ne meurt pas si on arrête toute exploitation, mais elle acquiert progressivement, de surcroît, les caractéristiques essentielles des forêts naturelles, très favorables aux espèces forestières. En réalité, l'Homme a davantage besoin de la forêt et de son bois qu'elle n'a besoin de lui. La constitution d'un réseau d'îlots, plus ou moins grands, en libre évolution, parmi les forêts gérées le plus durablement possible, permettraient de contribuer fortement à la préservation de la biodiversité forestière.

Dans les forêts laissées en libre évolution depuis un temps suffisant, et dont on a des exemples en France, il est possible d'observer un grand nombre de vieux arbres, atteignant des dimensions jamais atteintes en forêt de production. On observe aussi une grande quantité de bois mort et de dendromicrohabitats (généralement éliminés en forêt de production). On considère qu'il faut seulement 30 ans d'abandon pour que la biodiversité en espèces strictement forestières augmente (PAILLET et al. 2010) ; il s'agit en particulier des mousses, des lichens, des champignons, mais aussi de tous les êtres vivants qui consomment du bois mort ou vivent dans les cavités.

Aujourd'hui, le rôle du forestier n'est pas seulement de désigner les arbres à couper, il consiste aussi à organiser la durabilité de la forêt tout en contentant ses différents usages (économiques, récréatifs, sociaux, culturels, environnementaux…). Dans la perspective d'accroître la biodiversité forestière, il peut aussi décider, de manière pérenne, de ne plus couper une partie ou la totalité des parcelles gérées.

Dans le Massif central, à l'image de quelques secteurs des Gorges de la Rhue (Cantal) préservés à l'initiative de leurs propriétaires, les réserves forestières restent particulièrement rares. Ainsi, en Auvergne-Rhône-Alpes, seul 1 % des forêts est laissé en libre évolution de manière pérenne. L'essentiel des surfaces est situé dans la partie Alpine. Au niveau national, on estime que moins de 0,2 % des forêts présentent encore des caractéristiques de forêt naturelle, pour la plupart inconnues et exemptes de protection particulière tandis qu'il est conseillé de laisser au moins 10 % des forêts en libre évolution pour répondre aux besoins des espèces liées aux stades matures (LARRIEU et al. 2012 & 2013). En hêtraie sapinière par exemple, si les petites surfaces en libre évolution ne sont pas sans intérêt, un minimum de 20 ha est nécessaire à la pleine expression de tous les types de dendromicrohabitats (LARRIEU et al. 2013).

 Vers un réseau de forêts en libre évolution
Cette page d'information a été réalisée par le Conservatoire botanique national du Massif central et a bénéficié d'un financement par l'Union européenne. L'Europe s'engage sur les forêts anciennes avec le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER).
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