Dans la plupart des esprits, la forêt connaîtrait un essor unique jamais rencontré par le passé… S’il est vrai que les surfaces forestières ont doublé ces 150 dernières années (aujourd’hui en stagnation), ce rapport est calculé en comparaison d’une période de recul maximal de la forêt : depuis la fin des dernières glaciations, il n'y a jamais eu aussi peu d’espaces forestiers en France qu’au XIXème siècle, 80 à 90% des forêts d'origine ayant été progressivement défrichées.
En outre, si une partie des forêts récentes qui ont reconquis le territoire sont mélangées et riches en biodiversité, environ 10 à 15 % correspondent à de vastes plantations monospécifiques d’essences exotiques, globalement peu favorables à la faune et à la flore. Ce chiffre atteint entre un quart et un tiers des forêts récentes dans certains secteurs (Cézallier, Bois Noirs et Montagne bourbonnaise, Sucs ardéchois, Monts du Beaujolais et de la Madeleine, Haut Livradois, Monts Dore et Cézallier). Plus inquiétant, environ 10% des forêts anciennes ont été converties en de telles plantations, parfois après travail du sol, mettant à mal une partie de leur patrimoine biologique. Ce chiffre s’élève au quart ou au tiers dans les Monts de la Madeleine ou du Beaujolais, la Combraille Bourbonnaise, le sud des Cévennes ardéchoises, la Vallée du Cher ou le Haut Livradois. Cette artificialisation n’est pas sans poser problème pour la biodiversité forestière. D’une part les espèces du Massif central sont moins adaptées aux espèces exotiques, surtout lorsqu’elles viennent d’un autre continent comme le Douglas. D’autre part, la jeunesse et le caractère monospécifique et très régulier des peuplements fragilisent la fonctionnalité des écosystèmes, sans compter qu’en l’absence d’éclaircies depuis la plantation, le couvert arboré très fermé inhibe une grande part de la vie du sous-bois.
Dans le Massif central, la progression des surfaces forestières n’a pas empêché le déboisement de 20 % des forêts, la plupart anciennes, indiquées sur les cartes d’État-major (1820-1866). La moitié des forêts anciennes ou davantage ont même disparues dans les bassins d'Aurillac, de Maurs, du Puy-en-Velay ou de Saint-Etienne, mais aussi dans certaines zones de bocage du nord de l’Allier. C’est aussi le cas, par exemple, de la Châtaigneraie cantalienne, dans les grandes vallées alluviales (Côtes et Vallée du Rhône, Loire Bourbonnaise, etc.) et les Limagnes. Ces défrichements se sont surtout produits au début de la période, illustrant que le « minimum forestier » y a été plus tardif. En France, le phénomène se poursuit aujourd’hui, notamment en raison de l’artificialisation grandissante des terres agricoles, forestières ou naturelles à raison de l’équivalent de la surface d’un département par an (DGFiP, fichiers fonciers, données agrégées 1994-2013). D’un point de vue statistique, ce phénomène demeure masqué par la recolonisation ligneuse et récente des terres délaissées par l’agriculture.
En parallèle, le développement des infrastructures de transport, les défrichements, même de petite surface, ainsi que la destruction du bocage participent à la fragmentation croissante de la trame forestière, isolant d’avantage les derniers lambeaux de forêts à forte biodiversité.
Les forêts sont globalement plus matures aujourd’hui qu’il y a 150 ans, au bénéfice de toutes une partie de la biodiversité forestière qui a pu ainsi faire son retour, à l’image des oiseaux cavicoles (pics et petites chouettes de montagne). D’après l’inventaire forestier de l’IGN, on compterait actuellement, en moyenne, environ 10 m3/ha de bois mort sur pied et 22 m3/ha de bois mort au sol, avec de très fortes disparités locales et surtout un manque de bois mort de gros diamètre, indispensables à de nombreuses autres espèces. Des disparités existent également entre forêts publiques et privées. Comme pour les surfaces forestières, cette meilleure santé du compartiment « vieux bois » (vieux arbres, arbres à cavités, bois mort, etc.) est relative, car elle est comparée à un état initial correspondant à une période de surexploitation avancée.
Aujourd'hui, pour répondre aux enjeux du changement climatique, les politiques publiques visent à accroitre la mobilisation de la ressource en bois. Le Plan national de la forêt et du bois 2016-2026 ambitionne ainsi de mobiliser 12 millions de mètres cubes de bois supplémentaires par an par rapport aux prélèvements actuels (accroissement de 32 %). Ce plan vise, d’une part, à substituer du bois énergie ou matériaux bois aux énergies ou matériaux émettant du carbone, mais aussi à stocker ce dernier à travers la fourniture de produits en bois de long terme (meubles, bois de construction, etc.). Il vise également à soutenir une filière régionale créatrice d’emplois et à privilégier les ressources boisées locales plutôt qu’à importer celles-ci. Mobiliser davantage de bois tout en préservant la biodiversité forestière est un défi qu’il est possible de relever mais les conséquences peuvent se révéler particulièrement dommageables pour la biodiversité forestière si des mesures spécifiques ne sont pas mises en oeuvre. À cet égard, les enjeux agricoles et forestiers se rejoignent et il reste à imaginer et à mettre en œuvre des modes de production respectueux de la biodiversité.